Le (cyber-)harcèlement entre jeunes, c’est quoi?

Qu’est-ce que le (cyber)-harcèlement entre jeunes ?

En préambule, il convient de clarifier deux points concernant le cyberharcèlement.

Le premier consiste au fait que le cyberharcèlement, comme son nom l’indique, est une forme de harcèlement. De ce fait, il est impératif de considérer et de lutter contre le harcèlement entre jeunes de manière globale, et non de s’arrêter à l’une ou l’autre de ses formes – ce qui peut être même contreproductif.

Le deuxième attrait au fait que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le cyberharcèlement n’est pas un phénomène plus répandu ou plus grave que le harcèlement hors ligne.

Définition du harcèlement

Le harcèlement de manière générale, peut se définir comme une succession d’agissements hostiles et dont la répétition affaiblit psychologiquement la ‘cible’. Plus précisément, le harcèlement consiste en en une somme de comportements (dont les formes varient généralement) commis de manière répétitive par un individu ou un groupe d’individus et qui sont de nature à nuire à l’intégration physique ou morale de la(des) personne(s) qui est(sont) prise(s) pour cible(s).

Le harcèlement peut être verbal (rumeurs, humiliations, menaces, chantages, insultes…), physique (bousculades, vols et rackets, regards méchants, enfermement, jets d’objets…), matériel (dissimulations d’objets, dégradations d’objets, vols…), relationnelles (rejet, nier, faire comme si la personne n’existe pas…), sexuelle (blagues sexistes, gestes déplacés à distance, attouchements, agressions, divulgation de photos, de vidéos dénudées…) [1].

Définition du cyberharcèlement

Le cyberharcèlement consiste en un harcèlement mais pour lequel les actes sont commis par le biais des différentes formes de communication électronique ou « Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication » (NTIC ; smartphones, ordinateurs, tablettes, consoles de jeux…).

Les formes de cyberharcèlement

Le cyberharcèlement peut se présenter sous des formes diverses et variées. Par exemple envoyer répétitivement des messages d’insulte, diffuser des rumeurs infondées, pirater des comptes, publier une photo compromettante ou une vidéo humiliante, tenir des propos racistes et discriminants, insulter de manière très violente, créer un groupe de discussion ayant pour but de rabaisser et humilier une personne – ou un groupe de personnes – en particulier, etc.

Les caractéristiques communes

1. Les protagonistes (relation triangulaire)

Le (cyber-)harcèlement fait intervenir plusieurs protagonistes : le(s) auteur(s) ou autrice(s) (la personne ou le groupe de personnes qui harcèle(nt)) et le(s) ‘cible(s)’ (la personne ou le groupe de personnes vers qui est tourné le harcèlement). D’autre part, du fait qu’une situation de harcèlement s’inscrive dans un contexte social, une diynamique de groupe, les témoins vont avoir un rôle prépondérant (Bruno Humbeeck nomme « spect-acteur » toutes les personnes qui participe à la dynamique du harcèlement entre jeune ne fusse qu’en regardant). En effet, les réactions de ces dernier.ère.s vont impacter l’évolution de la situation. En effet, ils.elles peuvent soit, amplifier le phénomène en y participant activement ou en laissant faire soit, enrayer la situation de harcèlement en intervenant directement en faveur de la ‘cible’ ou en montrant son désaccord auprès du ou des auteur.trice(s). C’est pourquoi nous pouvons dès lors considérer que l’affirmation « liker c’est déjà harceler » est vraie : même si une personne, n’envoie qu’un unique message, ne fait qu’un like ou un commentaire, il ou elle participe déjà au harcèlement et sera dès lors considérée comme co-auteur.trice.

2. Les critères d’un (cyber-)harcèlement

Le cyberharcèlement, tout comme le harcèlement, implique, selon la définition, une intention, une répétition ainsi que d’un rapport de force inégal entre le ou les auteurs.trices de harcèlement et le ou les cible(s).

Donc, pour qu’il y ait (cyber-)harcèlement, il faut que le(s) auteur.trice(s) ai(en)t l’intention de blesser, de nuire l’autre. Il faut donc distinguer ce phénomène de la taquinerie, d’une dispute où l’intention n’est pas de blesser l’autre.

Il est également nécessaire que le comportement soit répété. Si l’on blesse ou nuit une fois à une personne, cela ne constitue pas un  (cyber-)harcèlement mais une attaque simple.

Enfin, il doit y avoir un certain rapport de force. La position de l’auteur.trice sur la ‘cible’ doit être telle que cette dernière ne puisse pas se défendre facilement, voire pas du tout. Cela a pour conséquence que la ‘cible’ ne puisse pas mettre fin à une situation de harcèlement. Dans le cas d’une dispute, même en ligne, chaque partie avance des arguments pour défendre, autant que faire se peut, sa position ou son point de vue. Sur internet, la masse d’individus participants au cyberharcèlement est parfois telle qu’il est impossible de pouvoir y faire face.

Dans le doute, il convient de prendre en compte la souffrance ressentie et exprimée par la(les) personne(s) qui est(sont) la cible de ces agissements.

Les différences

Bien que, comme nous l’avons vu, le cyberharcèlement obéit aux mêmes mécanismes que le harcèlement, celui-ci s’y différencie néanmoins sur plusieurs points.

En effet, du fait que le cyberharcèlement se produit sur des canaux numériques (réseaux sociaux, e-mails, messageries instantanées, sites internet, forums, blogs, jeux en ligne…) une taquinerie, une attaque simple ou une dispute peut vite se transformer en cyberharcèlement.
Il y a plusieurs raisons à cela et notamment du fait que les critères précédemment énoncés se trouvent quelque peu modifiés voire amplifiés sur Internet.  

Internet procure parfois un faux sentiment d’anonymat

Ce sentiment d’anonymat procure un sentiment de sécurité pour l’autnotamment s’il utilise un faux compte ou un pseudonyme. A cet égard, Internet est considéré par certain.e.s comme un lieu de non-droit : nous pouvons y faire ce qu’on veut sans n’avoir jamais à subir les conséquences de nos actes.

Le fait que nous nous croyons anonyme sur internet peut désinhiber, débrider nos agissements. Nos paroles et nos comportements peuvent dès lors rapidement dépasser notre pensée.

  • Cet anonymat participe dans le renforcement du rapport de force qui existe entre l’auteur.trice et sa cible dans le cas d’un cyberharcèlement. En effet, du point de vue de la ‘cible’, cet anonymat ne lui permet pas de savoir qui la harcèle… Elle n’a pas de visage à mettre sur l’auteur.trice. Cela la rend d’autant plus impuissante et l’empêche d’autant plus d’avoir la possibilité de mettre fin à cette situation.
  • Néanmoins, dans les cas de harcèlement entre jeunes qui se prolongent sur internet, même lorsque l’auteur.trice se cache derrière un pseudo, la cible connait généralement qui ils.elles sont.

Il ne faut pourtant pas oublier que dans les conditions générales d’utilisation ou politique de confidentialité de la plupart des réseaux sociaux il est d’ailleurs prévu que « les informations concernant les comptes des utilisateurs peuvent être communiquées à des tiers » en ce, y compris donc, la police. De plus, ces plateformes ont, en Belgique, une obligation de collaboration : ils doivent informer les autorités compétentes lorsque des contenus ou des activités illicites leurs sont signalés [2].

La distance créée par l’écran provoque un manque d’empathie

Comme nous l’avons vu, il n’est pas possible pour la cible de mettre un visage sur l’auteur.trice de cyberharcèlement si celui.celle-ci utilise un faux compte ou un pseudonyme. Et même si nous connaissons la personne, il nous est difficile de connaître l’intention de celle-ci : a-t-elle fait cela pour rire, pour nuire ? Cette quesiton d’intention a déjà posé des problèmes à la justice ! (exemple ici)

C’est aussi le cas pour l’auteur.trice : du fait que nous interagissons par écrans interposés, que nous n’ayons pas la personne en face de nous, nous ne voyons pas les réactions de notre interlocuteur.trice. De ce fait, nous ne pouvons pas faire preuve d’empathie.

  • Cette absence de communication non-verbale fait que nous nous ne rendons pas toujours compte des réels dommages que nous causons, de la gravité des conséquences de nos actions.
  • On parle d’effet « cockpit » lorsque l’empathie normalement présente dans les interactions sociales ‘physiques’ est ‘perdue’ quand nous utilisons les canaux de communication électronique. Cet effet cockpit fait que nous déshumanisons les personnes avec qui nous interagissons sur internet

Intention

Du fait de ce manque d’empathie, mais aussi de l’effet de groupe (« pour faire comme les autres ») le critère d’intention dans le cas d’un (cyber-)harcèlement est assez flou. En effet, un simple partage et même un ‘like’ peut, sans que nous en soyons conscients, nuire et/ou blesser la personne qui en reçoit la notification. La dernière définition de B. Galand concernant le harcèlement entre jeunes n’intègre d’ailleurs plus la notion d’intentionnalité : « […] une relation (négative) inscrite dans la durée avec un déséquilibre de pouvoir et généralement peu de réciprocité » [3].

Le rejet, l’exclusion voire l’ostracisme – soit l’absence délibéré d’actes ou de comportements à l’égard d’une(des) personne(s) – sont dès lors aussi considérés comme du harcèlement dans cette définition.
« […] une relation (négative) inscrite dans la durée avec un déséquilibre de pouvoir et généralement peu de réciprocité » [3]

Instantanéité liée à internet

Comme nous l’avons vu, il est plus émotionnellement facile d’insulter sur internet que sortir oralement et de visu des insultes ou des méchancetés notamment du fait de la distance créée par les écrans. Mais il est également mécaniquement plus facile de cliquer sur le bouton « envoyer ». Par exemple, dans le cas d’un harcèlement scolaire qui se prolongerait sur internet, il est plus facile de cliquer sur le bouton « partager » plutôt que d’aller faire imprimer une photo compromettante pour la partager et/ou le placarder dans les couloirs de l’école par exemple. En cela, l’instantanéité que propose internet peut être négative si elle est utilisée à mauvais escient.

Le caractère répétitif n’est pas du fait d’une seule et même personne mais bien de plusieurs. De ce fait, l’utilisation des réseaux sociaux et d’internet de manière générale, semblerait participer à l’amplification de ce phénomène qu’est le harcèlement.

En effet, notre like, notre commentaire ou notre partage ne constitue pas en soi un cyberharcèlement. Et puis, « Si d’autres le font, pourquoi pas moi ? » ; « De toute manière je ne suis pas le seul, je ne suis pas responsable ».  Cet effet, que l’on appelle « dilution des responsabilités », nous permet de justifier notre action (ou inaction) aux regards du comportement des autres personnes. Le problème étant justement que ces likes, partages et/ou commentaires se perdent dans un flot d’autres  likes, d’autres commentaires. Ces petits gestes, que nous pensons être anodins, sont autant de goutes dans le vase déjà bien rempli qui constitue, du point de vue de la ‘cible’, une situation de cyberharcèlement.

Pérennité des contenues partagé sur internet

En plus de ne plus permettre de répits à la cible (celle-ci peut être persécuté 7j/7 et 24h/24),  l’utilisation des canaux numériques rend, et ce, même pour l’auteur ou l’autrice, incontrôlable la portée de son comportement agressif.

En effet, lorsque nous postons/tweetons, par exemple, une vidéo compromettante celle-ci sera vue par beaucoup plus de monde que si nous l’avions montré à nos camarades de classes sur l’écran de notre smartphone. Les personnes visionnant la vidéo peuvent très bien partager à d’autres cette vidéo, voire même la télécharger et la poster sur d’autres sites ce qui élargira encore l’audience, le nombre de vue et ainsi de suite.

De plus, si le contenu est public ou s’il sort de la sphère privé à force de propagation, des inconnu.e.s peuvent également participer à ce harcèlement. Cela renforce le sentiment de persécution et d’impuissance de la cible du fait que celui.celle-ci aura « l’impression que le monde entier est contre lui ».

Il faut également garder à l’esprit que la personne ne peut pas être connectée lorsqu’une personne poste par exemple, une photo compromettante. De ce fait, il ne lui est pas possible de se défendre, de signaler ou supprimer cette photo tout de suite. Entre le moment où le message est posté et où la ‘cible’ peut réagir face à cette photo, il peut se passer plusieurs heures durant lesquelles beaucoup de personnes auront eu l’occasion premièrement, de voir la photo et deuxièmement de réagir (commentaires, likes…) à celle-ci. Enfin, la photo aura peut-être été relayée sur d’autres réseaux sociaux.

Au final, même si des remords et des regrets émergent chez la personne ayant partagé du contenu préjudiciable ou portant atteinte à la dignité de quelqu’un, « il est difficile, voire impossible, de faire disparaître une information ou une photo qui circule en ligne ». Il s’agit ici de la pérennité des contenues publier sur internet. En effet, même une photo de soi ou un post/tweet publié 10 ans auparavant peut être retrouvé et porter atteinte à notre e-réputation.

Omniprésence

On le sait, près de 95% des adolescent.e.s ont un smartphone et parmi ceux.celle-ci, 90% l’utilisent quotidiennement. Pour près de 40% d’entre eux.elles, c’est plus de 4 heures par jour qu’ils.elles l’utilisent. (Sur base des résultats de l’enquête « #Génération 2020 – Les usages des écrans chez les moins de 20 ans »). L’omniprésence de cet appareil dans notre vie quotidienne peut rendre le cyberharcèlement ultra-intrusif et n’offre aucun répit à la ‘cible’.

Pour aller plus loin :
• Le site internet du « Réseau Prévention Harcèlement » sur lequel vous trouverez notamment

o La brochure « Prévention du harcèlement entre élèves : Balises pour l’action » publié par le Réseau Prévention Harcèlement.
o La brochure « Le Cyberharcèlement » publié par le Réseau Prévention Harcèlement

• Le livre C. De Lathouwer et L. Mesnil (2022) intitulé : « Le harcèlement entre jeunes, les clefs pour comprendre et agir ».
• Le livre de B. Galand (2021) intitulé : « Le harcèlement à l’école – Mythes et réalités ».

[1] Sur base du livre « Le harcèlement entre jeunes, les clefs pour comprendre et agir » de L. Mesnil et C. De Lathouwer (2022).
[2] Audrey Adam, « Anonymat et faux anonymat : comment identifier et poursuivre les auteurs de contenus haineux sur les réseaux sociaux » in Adam, A., Charlier, P., Hermanns, O., Hugon, C., Lewkowicz, G., Michel, A., Englebert, J. (dir.), La régulation des contenus haineux sur les réseaux sociaux, Limal, Anthemis, « Débats et Droit », 2022, p. 93.
[3] Benoit Galand (2021). Le harcèlement à l’école – Mythes et réalités. RETZ

Voir aussi :

    MAJ 2024